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Se souvenir de Charonne , lundi 8 février 2010.
En une période où le besoin d’histoire est si fort dans la société française, et où est légitimement revendiquée une exigence de vérité, en particulier sur les deux moments clefs de notre histoire nationale récente que sont l’Occupation et les guerres coloniales, il n’est pas inutile de se souvenir de Charonne.
l’Humanite.fr/ - 8 février 2002 – Bernard Frederick
Dans le Monde, Maurice Duverger s’étonna : » C’est la première fois qu’un gouvernement fait tuer ceux qui soutiennent son action. » Dans l’Humanité Dimanche, Jérôme Favard rectifia : » Ce qui devrait être son action. » C’est au moment où de Gaulle négociait avec le gouvernement provisoire algérien (GPRA) et provoquait ainsi remous et ruptures dans l’armée et la droite que sa police massacra les manifestants au métro Charonne, le soir du jeudi 8 février 1962. Avec la même fureur dont elle avait fait preuve, quelques mois plus tôt, en octobre 1961, à l’encontre des Algériens de la région parisienne qui défilaient pacifiquement sur les boulevards.
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Le 19 décembre 1961, une manifestation parisienne contre l’OAS et pour la paix avait été sévèrement réprimée. Le gouvernement de Michel Debré avait interdit tout défilé. Roger Frey, place Beauvau, veillait au respect des ordres. Maurice Papon, à la préfecture de police, était dans son élément. (…) Aux obsèques d’un policier, il avait invité » ses » hommes » à rendre coup pour coup « . C’est ce qu’ils avaient fait, sous sa houlette, le 17 octobre 1961, massacrant, torturant, noyant dans la Seine des centaines d’Algériens. Papon n’a jamais d’état d’âme. Il n’en eut pas, naturellement, le 8 février 1962. Source photo : La Riposte

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La manifestation du 8 était organisée à l’appel des syndicats CGT, CFTC, FEN, SNI, UNEF. Le PCF et la Jeunesse communiste en étaient partie prenante. Le rendez-vous est donné à 18 h 30 à la Bastille. Il n’y a ni pancartes ni banderoles. Des petits calicots, qu’on plie dans la poche et qu’on ressort pour porter à bout de bras : » OAS assassin ! « , » Union sans exclusive contre le fascisme « , » Paix en Algérie « . La police armée de longs bâtons, les » bidules « , casquée et enveloppée dans des cirés noirs, barre l’accès de la place. Hommes, femmes arpentent les trottoirs. Des cris fusent : » OAS assassin ! « . La chaussée est envahie…
On estimera les manifestants à soixante mille. En plusieurs cortèges : boulevard Voltaire, boulevard Beaumarchais, dans les rues avoisinantes. Tous essuieront des charges. On matraque sans mesure.
Boulevard Voltaire, la manifestation se regroupe au métro Charonne. Les consignes des organisateurs sont strictes : éviter tout contact avec les forces de l’ordre. Des responsables syndicaux CGT et CFTC, hissés sur des épaules, lisent une déclaration commune. Paul Laurent et Léo Figuère, dirigeants nationaux du PCF, appellent à la dislocation. « Pendant ce temps, témoigne Jean Faucher, futur président de Tourisme et Travail, dans le Réveil du 16 février, une masse noire venant de la Nation se dirige vers nous. Des élus, ceints de leur écharpe, vont au devant. Les policiers avancent plus vite, puis chargent avec leurs longues matraques noires…« · A ce moment précis, André Dupont, secrétaire de la section communiste d’Issy-les-Moulineaux, se trouve à proximité des flics face aux élus. Il raconte (le Travailleur du 17 février) : » C’est alors que j’ai vu et entendu un homme en civil, vêtu d’un pardessus genre » tweed » (peut-être marron clair, il m’a semblé) hurler aux forces de police qui l’accompagnaient : » Ça ne fait rien. On s’en fout, cognez ! « . «
Vidéo INA : http://www.ina.fr/economie-et-societe/justice-et-faits-divers/video/CAF89023029/charonne-manifestation-a-la-bastille.fr.html
Source Photos : http://groupemanouchian.oldiblog.com/

Et ils cognent. Jean Faucher s’est réfugié dans l’escalier d’un immeuble. D’une fenêtre, il assiste à la tuerie, impuissant : » Je vois un policier tenir un homme pendant qu’une autre brute tape avec sa longue matraque qu’il tient à deux mains. L’homme s’effondre. Un policier en civile le relève et lui assène plusieurs autres coups de matraque, puis le pousse dans l’escalier du métro. Je vois plusieurs policiers ivres de rage, lancer tous les projectiles qu’ils trouvent dans les mêmes escaliers du métro. Cet acharnement brutal nous remplit d’horreur… « *
On relèvera huit morts, tués sur le coup ou décédés quelques heures après à l’hôpital. L’agonie de la neuvième victime durera trois mois. L’histoire est terrible. L’une de ces victimes, Fanny Dewerpe, de son nom de jeune fille Kapciuch, avait échappé aux rafles du temps où Papon s’y adonnait volontiers, son beau-frère avait été fusillé en 1944, son mari, René, avait été matraqué à mort le 28 mai 1952 au cours d’une manifestation pour la paix laissant une veuve de vingt-trois ans et un fils de deux, Alain, désormais totalement orphelin. Daniel Fery, lui, était le benjamin. Il ne devait jamais fêter ses seize ans.
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Une amnistie couvrit en 1966 le crime d’État de Charonne, comme elle couvrit celui du 17 octobre 1961, comme elle couvrit la torture et les exécutions sommaires en Algérie. L’histoire officielle ne retint ni la tuerie ni les obsèques historiques des victimes : un million de personnes dans un long cortège de la place de la République au cimetière du Père-Lachaise, sous le mur contre lequel, en mai 1871, d’autres bouchers avaient plaqué d’autres prolétaires.
Vidéo INA : http://www.ina.fr/economie-et-societe/justice-et-faits-divers/video/AFE85009405/les-obseques-des-victimes-de-la-manifestation-du-8-fevrier.fr.html
La justice, par trois fois, évoqua les événements du 8 février. En 1969, les victimes qui demandaient réparation furent à demi éconduites en correctionnel. Le tribunal partagea les responsabilités arguant du fait qu’elles étaient conscientes de ce que la manifestation était interdite. En 1972, un flic du nom de Bisserbes, dont l’Express avait révélé qu’il dirigeait une section boulevard Voltaire le 8 février et avait participé à la répression le 17 octobre contre les Algériens, déposa plainte contre Jacques Derogy, un journaliste du magazine et sa directrice, Françoise Giroud. On entendit à la barre le témoignage d’un syndicaliste de la police, Gérard Monate, qui dénonça l’état d’esprit à la préfecture où l’on affirmait : » Tant qu’il n’y aura pas quatre Charonne par an, nous n’aurons pas la paix. » La cour se réfugia derrière la loi d’amnistie de De Gaulle. Nos confrères furent condamnés pour diffamation !
* Voir sur La riposte.com/ le témoignage d’un manifestant (commentaire sous l’article)
A lire également sur le site de Vacarme :
le massacre contre le putsch
métro Charonne, 8 février 1962 : entretien avec Alain Dewerpe
8 février 1962. Après une série d’attentats perpétrée par l’OAS, une manifestation est organisée à Paris malgré l’arrêté préfectoral qui l’interdit. La police charge les manifestants alors qu’ils se dispersent à la station de métro Charonne. Huit sont tués sur le coup. Quelques mois après la répression meurtrière de la manifestation du FLN le 17 octobre, ce nouveau drame conduit à s’interroger sur les conditions de possibilité d’un massacre dans un État démocratique.
[Article complet : vacarme.org/]