Lu dans Siné Hebdo n° 41 – mercredi 17 juin 2009
MINI-SMIC ET MAXI-FRIC
Pierre Concialdi
C’est connu, le Smic coûte cher à la société. C’est en tout cas ce qu’affirment certains de nos experts qui veulent même sa mort.
Dormez en paix smicards et autres damnés de l’enfer des bas salaires, un « groupe d’experts » veille désormais sur vous. Réclamé de longue date par le patronat, ce groupe a été créé le 23 mai. En deux semaines chrono (un vrai record !), il a rendu son avis le 5 juin. Les conclusions étaient préparées d’avance ? Pas impossible puisqu’un des experts, Gilbert Cette, directeur à la Banque de France dans le civil, avait déjà pondu un rapport préconisant la suppression du Smic*.
En bons adeptes de la méthode Coué, les experts assènent à longueur de pages la même rengaine : le Smic est trop élevé. Passons sur les comparaisons internationales qui alignent une moitié de pays dont le revenu par habitant est très inférieur à celui de la France (les trois quarts pour la Grèce, jusqu’à moins de la moitié pour la Pologne et la Turquie). On se doute que, dans ces pays, le salaire minimum doit être moins élevé qu’en France. Mais ça doit faire plus joli sur les graphiques.
Dans notre pays, le Smic serait aussi « trop élevé » en comparaison des autres salaires ? Parce qu’il aurait trop augmenté ? Ces experts voient tout à l’envers. C’est simplement qu’à force de tasser la plupart des salaires vers le bas depuis plus de trente ans, ils se sont rapprochés du plancher. Il faudrait plutôt penser à les augmenter, les salaires, et à relever le plancher.
Pas question ! Pas de coup de pouce cette année, concluent nos experts. Pour eux, c’est simple. Si on augmente « trop » le Smic, les smicards coûteront trop cher aux employeurs qui ne les embaucheront plus. Adieu emploi, pouvoir d’achat… et bonjour les angoisses de fin de mois. C’est le raisonnement typique de « l’économie de l’offre », très à la mode sous Reagan et Thatcher. Un raisonnement économique à sens unique. Car le salaire est aussi un revenu pour le salarié. Et les revenus, ça nourrit la croissance et l’emploi. Une hausse du Smic n’est pas forcément défavorable à l’emploi, loin de là. Objection balayée d’autorité par nos experts, en cinq lignes, sans argument. Fermez le ban !
Le pompon, c’est que les mêmes oublient, ces étourdis, de comparer le niveau du Smic à ce que rapporte un salarié à son employeur. Pourtant, c’est ce qui a le plus de sens d’un point de vue économique. En moyenne, un salarié rapporte aujourd’hui plus de 6 500 euros par mois à son patron. Un smicard en reçoit moins d’un quart. Au-delà d’une vingtaine d’euros de plus par mois, nos experts prédisent la cata. Pourtant, au moment de la création du Smic, en 1970, c’était 20 % de plus (soit 300 euros d’aujourd’hui). Et quand on a créé en 1950 l’ancêtre du Smic, le Smig, c’était… plus de deux fois plus ! Trop élevé on vous dit.
* Voir Siné Hebdu n°2, 17 septembre 2008. Pour en savoir plus : www.cidrolin.com