Les reniements de la social-démocratie, ou l’avenir à reculons
Bernard GENSANE
Deux données en passant :
le nombre de jeunes âgés de 25 à 35 ans se lançant
dans la construction ou l’achat d’un logement a diminué
de 10% en un an.
50% des auto-entrepreneurs n’auto-entreprennent
actuellement rien ou quasiment rien. Il y a en fait 500 000
chômeurs partiels ou totaux de plus que ce que l’on veut bien nous dire.
Ce, dans un pays qui n’a jamais été aussi riche et qui, depuis 1981, aura été gouverné quinze ans
durant par des sociaux-démocrates.
Partout dans le monde, a fortiori en France, le curseur s’est déplacé à droite car les partis de droite se sont eux-mêmes déplacés vers l’extrême droite. Ce qu’avaient génialement envisagé les théoriciens du libéralisme économique à tout crin, puis leurs meilleurs élèves aux commandes, tels Margaret Thatcher ou Ronald Reagan.
Dans un document de 1978, alors que le pouvoir de Giscard vacille, on voit Mitterrand dans une ville ouvrière du nord de la France, accueilli par une fanfare ouvrière qui joue “ L’Internationale ”. À la tribune, il s’exprime sur la planification, le programme de nationalisations à mettre en œuvre, « plus audacieux que celui du général De Gaulle ». Et puis on le voit chanter l’hymne de la révolution prolétarienne (19e minute), une rose à la main. Dans cinq ans, il choisira « L’Europe » – c’est-à-dire le capitalisme financier – contre les travailleurs. Il sera aidé dans sa tâche par Jacques Delors, ancien employé de banque qui vient du syndicalisme chrétien, et Pierre Bérégovoy, fils d’un russe blanc prolétarisé, ouvrier (fraiseur) dès l’âge de 16 ans, résistant, membre fondateur du PSU. Leur protégé François Hollande aura deux obsessions principales, identique à celles d’Anthony Blair avant lui : l’alignement de la politique française sur celle des États-Unis et la réduction du « coût du travail » par le biais d’une politique économique de l’offre, directement inspirée de la « reaganomics », elle-même produite par la pensée de Friedman et Hayek.
En France comme ailleurs, la mouvance social-démocrate, lorsqu’elle a accédé aux responsabilités, a joué un rôle déterminant dans la prise du pouvoir quasi totale de la grande bourgeoisie d’affaires, dans le progrès des idées réactionnaires, dans l’acceptation de l’inexorabilité du recul des droits des travailleurs. À quelques nuances sans importance près, le rôle de la social-démocratie aura été le même que celui des partis conservateurs.
Depuis trente ans, nous sommes dans la certitude qu’il n’est rien à attendre de la social-démocratie dans la lutte contre le pouvoir du système bancaire et des grandes entreprises, une social-démocratie qui, dans le même temps, s’aligne au millimètre près sur les forces impérialistes du nord de la planète. En revanche, la collaboration de classe, le « dialogue », le « gagnant-gagnant » (concept né aux États-Unis dans les années soixante) ont toujours été à l’ordre du jour.
Les socialistes français ont cédé le pouvoir politique,
donc le pouvoir du peuple, à la finance, soumettant
par la-même le social et l’économique aux désidérata
d’une hyperbourgeoisie conquérante, de plus en plus
puissante, au point de faire payer par un peuple courbé,
désemparé, les errements irrationnels des forces
économiques débridées.
Certains chez les sociaux-démocrates français ont
décidé qu’il ne fallait plus faire semblant de tenir
un discours de gauche avant de mettre en pratique
des politiques de droite. C’est le cas, par exemple, de l’actuel Premier ministre Manuel Valls qui, en 2009,
proposa de débaptiser le parti socialiste. Pour lui, le mot « socialisme » était « dépassé » :
« Il faut transformer de fond en comble le fonctionnement du PS, nous dépasser, tout changer :
le nom, parce que le mot socialisme est sans doute dépassé ; il renvoie à des conceptions du XIX° siècle ».
Il suggérait même de remplacer le mot « parti » par « mouvement ». On imagine que les Français auraient
pu alors « choisir » entre l’Union pour un Mouvement Populaire à “ droite ” et le « Mouvement démocrate »
à “ gauche ”. La belle affaire ! Dans les faits, la bipolarisation à la française n’a rien à envier à celles
qui se pratiquent outre-Rhin, outre-Manche ou outre-Atlantique.
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