Alain Keler :
« Personne n’a jugé utile de s’intéresser aux roms,
ils sont devenus des fantômes »
Des pays d’Europe de l’Est dont ils sont originaires aux bidonvilles
de France, Alain Keler parcourt le continent pour photographier
les Roms, « minorité des minorités ».
Depuis des années, le photographe reporter Alain Keler se rend en Europe de
l’Est à la rencontre des minorités ethniques et en particulier des Roms.
Une partie de ses reportages a été publiée dans la revue XXI sous forme
de bande dessinée avec Emmanuel Guibert (le photographe), avant de sortir
en livre (1) l’an dernier.
Vous avez réalisé de nombreux reportages auprès des Roms dans les villages d’Europe de l’Est.
Pourquoi partent-ils ?
Alain Keler. Pour schématiser, il s’est passé la même chose dans tous les pays de l’Est : pendant le régime communiste,
les Roms étaient obligés de travailler. À la chute du bloc de l’Est, des tas d’usines pas rentables ont fermé. Les premiers
licenciés ont été les Roms, parce qu’ils n’avaient pas fait d’études et, surtout, parce qu’ils étaient roms… Avec la montée
du chômage, ils n’ont jamais pu se faire réembaucher. Ils ont été mis à l’écart d’une société qui devenait de plus en plus
compétitive. Sans doute, eux, se sont isolés aussi. Au début des années 1990, on a vu apparaître des pogroms contre
des villages roms. Ça a été d’autant plus dur qu’il n’y avait aucune politique gouvernementale pour les aider. Notamment
pour la scolarisation. En Slovaquie, les enfants roms sont jugés trop turbulents et mis dans des écoles spéciales pour
handicapés mentaux. C’est terrible, on leur supprime dès le plus jeune âge toutes les chances de s’intégrer
dans la société.
En ex-Yougoslavie, la situation était un peu différente, non ?
Alain Keler. Au Kosovo, quand les Serbes ont quitté le pays fin 1999, la première chose qu’ont faite les Albanais a été de
brûler les maisons des Roms qu’ils accusaient d’avoir collaboré avec les Serbes. Beaucoup sont partis, notamment en Serbie
parce qu’ils parlaient la langue. Ils sont devenus des fantômes : sans papiers d’identité, ils vivaient dans des forêts près de
Belgrade et travaillaient en récupérant du métal. Personne n’a jamais jugé utile de s’intéresser à eux et ça a duré comme ça
une vingtaine d’années dans tous ces pays. Pendant que les gens goûtent aux plaisirs de la société ultralibérale, eux sont mis
complètement à l’écart. En Roumanie, ils vivent dans des petits villages, loin de tout et très pauvres. Quelques-uns arrivent
à s’en sortir, heureusement.
Comment réagissez-vous aux évacuations de campements menées en France ces dernières semaines ?
Alain Keler. Mal. J’ai été très surpris. Le discours est moins violent, mais on se retrouve dans le même cas de figure que
sous Hortefeux et Guéant. Je pensais que le gouvernement aurait la sagesse d’organiser des rencontres entre associations
et ministères pour essayer de trouver des solutions. Les Roms vivent dans des conditions épouvantables ; au niveau sanitaire,
c’est terrible, il y a des rats, des épidémies. Je pensais qu’il y aurait une vraie réflexion pour supprimer les bidonvilles,
pour que les familles soient mieux traitées et puissent se stabiliser.
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(1)
sur fr.calameo.com/Feuilleter Les nouvelles d’Alain
*
- Le site internet du photographe Alain Keler.