Le tout-anglais : « un projet suiviste et dépassé »
Posté par communistefeigniesunblogfr le 28 mai 2013
Claude Truchot et Bernard Cassen sur le tout-anglais
- Claude Truchot
EN IGNORANT LES EXPÉRIENCES NÉGATIVES DE L’ALLEMAGNE ET DES PAYS-BAS
Un enseignement en anglais dans les universités françaises ?
Angliciste, parlant couramment l’allemand,
Claude Truchot est l’un des meilleurs sociolinguistes
de France. Il défend depuis bien longtemps l’idée
qu’il n’y a d’Europe que multilingue. Il dresse ici
un bilan très sombre du tout-anglais
dans certaines universités européennes.
En Europe du Nord, le recours à l’anglais a été un moyen de compenser la faible diffusion internationale
des langues nationales, considérée comme un handicap pour l’attractivité internationale des universités,
notamment lors de la mise en place du programme d’échanges universitaires Erasmus qui a vu
les étudiants se tourner en masse vers les universités britanniques, françaises et espagnoles.
Pour ce faire, les universités nordiques et néerlandaises se sont appuyées sur une compétence acquise :
la connaissance de l’anglais. Ces universités ont ainsi pu attirer une proportion plus importante d’étudiants
étrangers. Précisons toutefois que celle-ci reste très largement inférieure à ce qu’elle est en France.
En revanche, les effets négatifs sont multiples et de plus en plus mis en évidence :
- Les langues nationales disparaissent des enseignements de haut niveau. Aux Pays-Bas, les masters
tendent à avoir lieu presque exclusivement en anglais. Ainsi, en 2008-2009 à l’université de Maastricht,
sur 46 masters le seul qui n’était pas en anglais était celui de droit néerlandais.
- Calqués sur les enseignements dispensés par les universités américaines, les cursus perdent toute
spécificité et ignorent les travaux scientifiques européens.
- Aux Pays-Bas, les universités ont perdu non seulement l’usage du néerlandais, mais aussi l’ouverture
internationale qui les caractérisait traditionnellement par la connaissance d’autres langues, surtout l’allemand
et le français, actuellement ignorées des étudiants.
- Si le niveau de connaissance de l’anglais parmi les enseignants est généralement considéré comme correct,
l’usage qu’ils peuvent en faire n’est pas celui qu’en ferait un anglophone. Les cours sont récités, les échanges
avec les étudiants sont limités, et ont souvent lieu dans une langue approximative. La perte d’information
dans la transmission des connaissances est considérable.
Le bilan probable, mais les autorités n’ont jamais osé le faire, est que la qualité de l’enseignement supérieur
a baissé dans ces pays.
Cette prise de conscience s’est faite en Allemagne à la suite de dix ans d’anglicisation. Le bilan par les chefs
d’établissements est sans concession :
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- Bernard Cassen
Soyons résolument « modernes » :
des cours en chinois dans les facs françaises !
*
Ce 22 mai, la ministre de l’enseignement supérieur
et de la recherche, Geneviève Fioraso, met en discussion
à l’Assemblée nationale un projet de loi dont l’une
des dispositions clés est l’institutionnalisation de l’anglais
comme langue de l’enseignement universitaire en France.
Sous un camouflage hypocrite – il est question de « langues étrangères » et pas de l’une d’elles
en particulier –, ce texte est un pas de géant vers la mise sous tutelle anglo-saxonne de l’activité
scientifique française. Pas seulement française d’ailleurs : venant de Paris, l’exemple fera tache
d’huile dans les autres pays francophones, notamment en Afrique, et dans ceux des langues
latines proches (espagnol, italien, portugais).
Une langue n’est pas seulement un outil de communication ; c’est, comme l’écrivait Gramsci,
« une vision du monde » qui se décline en concepts, en approches intellectuelles, voire en valeurs.
Y compris dans la science. C’est la pluralité et parfois la confrontation de ces « visions » qui stimule
la créativité des chercheurs. Ce que propose Mme Fioraso, c’est de faire abstraction de sa langue
maternelle et de penser tous directement en anglais, exercice où les native speakers auront toujours
plusieurs longueurs d’avance sur les locuteurs d’autres langues, et où c’est l’avancement
de la recherche, pris globalement, qui sera finalement perdant.
La diversité linguistique est en effet un bien commun aussi précieux que la biodiversité.
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Lire également : le communiqué du Parti de Gauche
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