L’Humanité.fr – 11 février 2010 – Entretien réalisé par Lucie Servin
La galerie Martel présente les œuvres du dessinateur argentin José Muñoz à l’occasion de la publication du deuxième tome de « Carlos Gardel, la voix de l’Argentine » avec Carlos Sampayo aux Éditions Futuropolis. Le premier tome paru en 2007 avait été salué à Angoulême, l’année où le dessinateur recevait le Grand prix de la ville pour son œuvre.
Entretien avec José Muñoz, dessinateur argentin
La voix de Carlos Gardel s’échappe lorsqu’on pousse la porte. Sur les murs, les planches présentent successivement, comme dans le chœur d’une église, les niches d’expériences plurielles de l’artiste qui nous fait la visite. Une rétrospective en éventail complétée par un film documentaire sur la collaboration du dessinateur avec l’écrivain-scénariste, Carlos Sampayo. La première série de planches est extraite de l’illustration de l’Homme à l’affut, (el Perseguidor) de Julio Cortàzar qui raconte l’histoire d’un saxophoniste, Johnny Carter, en hommage à Charlie Parker. En prolongement naturel de ces dessins mélomanes, suivent les planches de Gardel, tandis qu’au fond se dressent des portraits de femmes, en couleur et au lavis. Sur le mur d’en face, les planches en italien d’Alack Sinner, le personnage de la première série du duo des inséparables Muñoz-Sampayo.
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- Vous revendiquez donc un certain réalisme abstrait dans le noir et blanc ?
JOSE MUÑOZ : La vérité est abstraite. Dans la bande dessinée, le dessin permet de focaliser des anecdotes qui mettent en abîme la réalité. L’argument central, dans Billie, Charlie ou Gardel, c’est la cruauté et les éclats de merveilles dans la vie, l’autodestruction, les tragédies de l’existence, la construction du mythe de soi-même chez ces êtres talentueux et exceptionnels. Les défauts et les tares humaines transparaissent avec la question du poids du talent, à la fois un don et un fardeau à assumer. Le Noir et Blanc, c’est aussi une exigence esthétique, comme un élixir qui distille la vérité. J’appartiens à une famille de dessinateurs, j’ai été influencé par ceux qui m’ont enseigné, Francisco Solano Lòpez, Alberto Breccia ou Hugo Pratt.
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Avec Carlos Sampayo, vous explorez le mythe de Carlos Gardel, vous vous interrogez sur « l’identité nationale » et la question « l’argentin idéal », pourquoi est-ce important pour vous deux, argentins et exilés, d’explorer le thème de la patrie ?
JOSE MUÑOZ : L’identité nationale est une question subjective, une question personnelle qui n’appartient qu’à soi. Avec Sampayo on a quitté l’Argentine au départ comme voyageurs, mais on s’est retrouvés en exil forcé, expulsés de notre pays. Aujourd’hui quand je vais à Buenos Aires, j’embarque avec moi mes souvenirs, je me revois gamin dans ces rues. C’est un sentiment personnel qui n’a pas à être instrumentalisé politiquement. Dans notre pays, le débat identitaire est exacerbé pour plusieurs raisons et d’abord à cause de notre histoire politique. Ce qui est intéressant avec Gardel, ce génie, c’est la confusion généralisée qu’il a lui-même entretenue sur ce point, refusant de prendre partie, chantant pour tous : conservateurs, truands, richards, travailleurs et socialistes. Cultivant le mystère, revendiquant plusieurs origines, il s’est toujours montré magnifiquement énigmatique. Une ambivalence controversée qui a servi le mythe de l’artiste justifié pour son talent. Gardel s’offre à toute l’Argentine, celles des quartiers de Buenos Aires, celle de la campagne latifundiaire : il nait dans la profondeur des chants de la Pampa et glisse vers la ville, vers le Tango, puis vers l’espace international, le monde entier. Un thème essentiel qui plonge au cœur des allées-venues trans-océaniques, paradoxes du mythe argentin. (…)
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Jusqu’au 24 février, à la galerie Martel, 17, rue Martel, 75010 Paris. 01 42 46 35 09. http://www.galeriemartel.com