Enquête - Camille Drouet
Fondation Lejeune. Une charité mal ordonnée reconnue
d’utilité publique
Les militants d’Actup devant la fondation Lejeune
le 4 aout dernier
Proche des milieux ultra-catholiques,
cette fondation influente ne fait pas que soutenir
la recherche sur la trisomie 21. Chaque année,
elle investit une partie des dons et legs défiscalisés
dans la lutte contre l’avortement.
Le 4 août 2013, l’association de lutte contre le sida, Act-Up, asperge de faux sang les locaux de la fondation
Jérôme-Lejeune qui soutient la lutte contre la trisomie 21. Les militants visent sa chargée de communication,
Ludovine de la Rochère, par ailleurs présidente de la Manif pour tous. Sur les affiches placardées, son visage
barré par le mot « homophobe ». Le président de la fondation et magistrat à la Cour des comptes, Jean-Marie
Le Méné, s’indigne de cet « acte d’intimidation qui porte sur un espace accueillant des personnes atteintes
de déficiences intellectuelles ». Le coup de sang d’Act-Up semble tiré par les cheveux. Mais les ministères
de l’Intérieur, de la Santé et l’opposition restent muets. Seul le Parti chrétien démocrate de Christine Boutin
réclame la dissolution d’Act-Up, tandis que le Front national condamne le geste « scandaleux à l’encontre
d’une fondation admirable ».
En effet, la fondation est reconnue d’utilité publique. Un sésame qui lui permet de collecter des dons
et des legs défiscalisés, destinés à remplir une mission d’intérêt général. Selon le registre officiel des fondations
reconnues d’utilité publique, la Fondation a pour but de « poursuivre l’œuvre du Professeur Jérôme Lejeune ».
Le document précise : « Recherche médicale sur les maladies de l’intelligence et génétiques ; accueil et soins
des personnes atteintes de la trisomie 21 et autres anomalies génétiques. » Une noble cause qui en cache
une moins reluisante.
Généticien de renom, Jérôme Lejeune découvre l’origine de la trisomie 21 en 1959. Le médecin est aussi
ultra catholique, membre de l’Opus Dei et… farouchement opposé à l’avortement. Grâce à lui, on ne dit plus
« mongolisme ». Mais on lui doit aussi l’expression « IVG, Interruption de vie gênante ». Et la fondation,
héritière du nom, entend bien « poursuivre l’œuvre » de celui qu’elle appelle « le champion de la vie »
dans sa lutte contre l’avortement. La fondation remplit les fonctions qui lui sont officiellement attribuées :
soigner et chercher. Mais elle revendique aussi une troisième « mission » : « Défendre la vie ». Or, ce dernier
volet n’apparaît pas au Journal officiel.
La fondation, elle, parle de « faire avancer le débat
bioéthique ». Mais derrière l’expression pompeuse,
un tout autre combat : « Celui de la vie, dès la conception
et jusqu’à la mort naturelle. » Le tout, financé par des dons
défiscalisés au nom de l’intérêt général. « On est pas obnubilé
par l’avortement. Dans les bureaux, nous n’en parlons jamais.
Je ne sais même pas ce qu’en pensent mes collègues »,
se défend-on au service communication. Pourtant, le site
Internet de la fondation indique clairement :
« Pour un don de 100 euros, 9,4 euros sont alloués à la défense de la vie. » Près de 10% du budget
qui financent des opérations de communication bien éloignées de la recherche médicale.
La fondation édite, par exemple, un Manuel de bioéthique à l’usage des jeunes. Un livret – visiblement
destiné à un public à peine adolescent – distribué gratuitement. « Déjà à près de 350 000 exemplaires »,
se targue Jean-Marie Le Mené sur la page Facebook de la fondation. A l’intérieur, le stérilet et la pilule
du lendemain y deviennent des « méthodes abortives ». On préconise aux femmes tombées enceintes
suite à un viol de ne pas avorter. Le livret interroge : « Pourquoi l’enfant innocent subirait-il la peine
de mort que ne subira pas le criminel ? » En cas d’hésitation, on y trouve des numéros « joignables
24h/24h, pour parler librement ». Au bout du fil, des militants anti-avortement.
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Lire également :
Le Monde du 22 mars 1996 :
Les opposants à l’avortement créent une fondation Jérôme Lejeune