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Eric Toussaint :
« La BCE a déstabilisé l’économie pour soumettre la Grèce
aux exigences des créanciers »
Entretien réalisé par
Rosa Moussaoui – l’Humanité – 17 juillet 2015
Maître de conférences à l’université de Liège,
porte-parole du Comité pour l’annulation
de la dette du tiers-monde (CADTM),
Éric Toussaint est le coordinateur scientifique
de la Commission pour la vérité sur la dette grecque.
Athènes, envoyée spéciale.
Avons-nous assisté ces dernières semaines, à Athènes, à un coup d’État financier, comme l’affirment
de nombreux observateurs, en Grèce et à l’étranger ?
Éric Toussaint Oui et non. Ce qui était décisif ici tenait à des décisions politiques, prises par des instances
politiques complices, bien sûr, des intérêts financiers. Ce n’est pas un coup d’État mené directement
par la finance, mais par les institutions, la Commission européenne, les chefs d’État
et de gouvernement des pays de la zone euro. L’Allemagne n’est pas seule impliquée. Il est clair que
l’Espagnol Mariano Rajoy ou le Portugais Pedro Passos Coelho, sans parler des gouvernements finlandais
ou letton, dévoués aux politiques néolibérales, tenaient à démontrer à leurs peuples respectifs que l’option
présentée aux Grecs et aux peuples d’Europe par Syriza ne pouvait pas fonctionner. Il s’agit donc bien
de décisions d’abord politiques.
Il est clair que les grandes banques privées, les multinationales voulaient aussi obtenir la démonstration
qu’il est impossible de tourner le dos à l’austérité. Mais il faut rappeler que les principaux créanciers de la Grèce
sont aujourd’hui des créanciers publics. Les banques ne sont plus aux premières loges, elles l’étaient jusqu’en 2012,
avant de se défaire des créances qu’elles détenaient. La restructuration de la dette en 2012 leur a permis
de s’en tirer à bon compte. Aujourd’hui, la Commission européenne, la Banque centrale européenne et les États
de la zone euro veulent absolument, en dépit de l’échec des politiques économiques imposées à la Grèce,
que le pays reste sur les rails du néolibéralisme. Le FMI aussi, bien entendu, qui est aussi une instance politique.
Alexis Tsipras espérait, en contrepartie de sa capitulation sur les politiques d’austérité, obtenir
des engagements sur un allégement de la dette. Les créanciers, eux, concèdent tout juste l’ouverture
en 2015 d’une discussion sur un éventuel réaménagement de la dette à partir de 2022.
Pourquoi cette intransigeance, alors que le FMI lui-même juge désormais la dette insoutenable ?
Éric Toussaint À mon avis, il pourrait y avoir une restructuration de la dette avant 2022. Les créanciers disent
« pas avant 2022 » parce qu’ils savent que ce plan ne va pas fonctionner, que le paiement de la dette sera
insoutenable. Ils la restructureront, cette dette. Mais en conditionnant cette restructuration à la poursuite
de réformes néolibérales. La dette est un moyen de chantage, un instrument de domination.
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