Le travail dans tous ses états
Le mal-être des chercheurs transformés en orpailleurs
Syndicats et enquêtes récentes établissent
que les chercheurs sont de plus en plus mis
sous pression. En cause, une baisse du temps
de travail consacré à la recherche,
un poids accru de la hiérarchie et des outils
de contrôle et la course aux publications
et à l’obtention de contrats.
« Le métier de chercheur, c’est de chercher de l’argent. C’est une source de déprime, on est dans un truc qui n’a plus rien à voir. Mais est-ce qu’on peut faire de la recherche sans argent ? ». Ce témoignage anonyme, extrait d’une étude qualitative de « psycho-dynamique du travail» conduite en 2012 par Christophe Demaegdt et Marc Guyon, résume la tension à laquelle le milieu de la recherche publique est confronté depuis plusieurs années. Si la France jouit d’un réseau d’établissements publics à caractère scientifique et technologique (EPST) dynamique et varié (CNRS, INRA, INSERM…), de récents travaux pointent un glissement alarmant: celui de scientifique, tourné vers la recherche fondamentale ou appliquée, à celui de chercheur d’or ; les prérogatives initiales du chercheur n’ayant cessé de perdre du terrain sous l’effet du « new public management » et des modifications brutales de leur cadre de travail.
Mi-temps pour chercher des financements
« Les chercheurs sont sommés de devenir des entrepreneurs (…). Ils doivent aujourd’hui satisfaire un ensemble de tâches administratives et commerciales pour obtenir la possibilité, toujours éventuelle, de pouvoir avoir un contrat lequel leur permettrait d’obtenir un budget, soumis à des règles de gestion contraignantes et à des lourdeurs administratives » constatent les auteurs de l’enquête remise au comité de pilotage du partenariat CNAM-CNRS. Autant d’occupations qui détournent le chercheur de sa vocation et œuvrent « contre ce qui a de l’importance pour lui ».
[...]
3 suicides
Dans un tel contexte, « l’accentuation du mal-être des chercheurs et des personnels est inexorable » renchérit Daniel Steinmetz, secrétaire Général du SNTRS CGT. Dans un communiqué de début février, son syndicat s’alarmait de la « survenue, pour le seul mois de janvier 2014, de trois suicides de personnels travaillant dans des laboratoires et l’administration du CNRS ». S’il reste prudent sur les facteurs (encore indéterminés) qui ont conduit à ces drames, le syndicaliste constate que « deux de ces collègues étaient en congés maladie » et que les conditions de travail se sont durcies avec « la mise en place de procédures copiées sur les entreprises : le time-reporting, les évaluations lourdes, la taylorisation de certains tâches… ». Dans l’étude menée auprès d’un collectif de chercheurs du CNRS, les auteurs corroborent le fait que « les nouveaux dispositifs d’évaluation fonctionnent sur d’autres principes que ceux relevant de la reconnaissance, et mettent l’accent sur les jugements de rentabilité. L’utilité est alors définie en fonction de ce qui est considéré comme étant valorisable (utilité économique, brevets, augmentation de la bibliométrie…) ». Des formes d’évaluation qui excitent « les rivalités, la méfiance et tendent à produire un climat concurrentiel et individualisme ». (…)
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