Les lunettes de M. Migaud, l’éditorial de Jean-Paul Piérot
Soigner sa vue relève-t-il d’une médecine de confort ?
Hier dans son rapport annuel sur la Sécurité sociale,
la Cour des comptes a poussé l’obsession
de la réduction des dépenses sociales jusqu’à préconiser
l’arrêt du remboursement, déjà très mince, des frais
d’optique. Et voilà les lunettes rangées au rayonnage
des produits de luxe ! Il faut faire preuve d’une bonne
dose d’aveuglement pour émettre un tel signal,
quand on sait que les soins ophtalmologiques sont ceux
auxquels les Français aux revenus les plus modestes
renoncent le plus souvent.
Le résultat d’un retrait de l’assurance maladie de l’optique sur les comptes de la Sécurité sociale tiendrait du symbole,
puisque l’essentiel du remboursement repose sur
les complémentaires santé (mutuelles et assurances),
mais celles-ci n’auraient d’autre solution que d’augmenter leurs tarifs. Un nouveau coup serait porté à l’égalité
de tous en matière d’accès aux soins.
Effarant raisonnement que celui de la Cour des comptes consistant à invoquer l’opacité du marché
de l’optique, les marges excessives que s’attribuent les lunetiers pour prôner le déremboursement ! Si l’on poussait
l’argument jusqu’à l’absurde, pourquoi alors ne pas préconiser le déremboursement des médicaments au motif
de l’opacité des laboratoires pharmaceutiques ou des soins prodigués par des établissements hospitaliers privés
en raison des profits juteux qu’ils réalisent ? Il faut agir pour une régulation
des tarifs et non pas sanctionner
les patients.
L’émoi que n’a pas manqué de provoquer cette proposition énoncée par Didier Migaud, le président
socialiste de la Cour des comptes, a conduit le gouvernement à prendre ses distances et Marisol Touraine à assurer
qu’« il n’y aura pas de déremboursement des lunettes ». Dont acte. Mais la ministre des Affaires sociales a pris soin
d’ajouter que le gouvernement a engagé « la stabilisation des dépenses de santé ». De la stabilisation à la stagnation,
il n’y a qu’un pas et les besoins en matière de santé publique exigent bien davantage que la recherche
de « gisements d’économie considérables », selon la formule de Didier Migaud.
Les frais d’optique ne sont que l’une des cibles de l’arsenal de mesures d’économies aux conséquences
inquiétantes contenues dans le rapport des juges de la rue Cambon. Au nom d’un « effort accru de maîtrise
des dépenses de santé », assimilées à « une spirale de la dette sociale », la juridiction présidée par Didier Migaud
dessine les contours d’une cure d’austérité (réduction des dépenses hospitalières, des séjours à l’hôpital, réduction
des actes de biologie, économies sur les soins de nuit…).
Elle esquisse le projet d’un système à deux vitesses,
dans lequel les assurances privées prendront une place prépondérante dans l’accès aux soins de qualité,
au détriment des principes de solidarité de la Sécurité sociale.
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