SANTÉ AU TRAVAIL
Être docker, à l’heure de la mondialisation des produits toxiques
Par Nolwenn Weiler (18 février 2013)
Ils sont les premiers à décharger les milliers
de tonnes de marchandises qui arrivent
chaque jour par bateau.
Ils sont aussi les premiers à respirer l’air
des cales : céréales aspergées de pesticides
, pétrole, ciment… Et ils en paient le prix :
sur les docks, on meurt dix ans plus tôt.
A Nantes et Saint-Nazaire, las de voir tomber leurs collègues, les dockers sont à l’initiative
d’un programme de recherche pour améliorer leurs conditions de travail et préserver
leur santé. Un enjeu crucial pour l’avenir de leur métier. Reportage.
Ce matin de janvier, le crachin s’entête sur les quais du port de Montoir-de-Bretagne, à quelques encablures
de Saint-Nazaire. Un navire de 40 000 tonnes de soja brésilien vient d’accoster. Mais le déchargement
attendra. « Il y a trop de gaz dans les cales », expliquent les dockers. Réfugiés dans le petit bâtiment
qui fait office de foyer, ils attendent « qu’il n’y ait plus de danger ». D’ici quelques heures, quand l’aspirateur
géant et métallique – appelé la « vis sans fin » – aura terminé d’avaler les tonnes de soja, pour les expédier
vers les zones de stockage situées à l’arrière des quais, les dockers descendront dans les cales.
« Avec des échelles de cordes quand il y en a, ou en passant par derrière le stock, en bas des tas de
marchandise. Parfois, les murs de soja que la vis sans fin repousse contre les parois des cales s’écroulent.
Dans ce cas, on en a partout ! », détaille Karl Montagne, docker depuis 30 ans.
Arrosé de pesticides avant la traversée de l’Atlantique, pour décourager champignons, rongeurs et insectes,
le soja débarqué ce jour-là et l’atmosphère qui règne dans la cale ne sont pas très respirables. C’est la seule
chose que savent les dockers. « A un moment, on nous dit, c’est bon, vous pouvez y aller. Mais nous ne
savons rien des produits qui ont été utilisés. Et respirer des doses réputées sans danger, pendant un jour,
d’accord. Mais tous les jours ou presque, pendant 20 ans, qu’est-ce que cela donne ? », s’interroge Karl
Montagne. « Et le simple fait que ce soit OGM, ça fait quoi ? Parce que 90 % du soja qu’on décharge
est OGM ! », poursuit son collègue Christopher Le Canderf.
Cancers en vrac
Ces inquiétudes, et discussions, à propos des menaces sanitaires qui planent sur les travailleurs portuaires
sont apparues il y a quelques années, sur les quais de l’estuaire de la Loire, de Nantes à Saint-Nazaire.
Fin 2007, Jean-Luc Chagnolleau, docker pendant 30 ans, se découvre un cancer du rein. « Il avait toujours
eu une vie très saine », précise son ami Serge Doussin, métallo et ancien secrétaire départemental CGT.
« Quand il a su qu’il était malade, il a tout de suite pensé à son boulot », ajoute Gilles Rialland, travailleur
portuaire, également syndiqué CGT. L’enquête que Jean-Luc Chagnolleau entreprend alors auprès
de ses collègues prend des airs de série noire. Sur 140 dockers contactés, en grande majorité partis
à la retraite, 87 déclarent être malades, dont 61 sont atteints de cancers, et 35 sont décédés. L’espérance
de vie de ces travailleurs se révèle d’une dizaine d’années inférieure à celle de leurs aînés !
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Image à la une : capture d’écran photo Laurent Guizard
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