François Daniellou : « La compétitivité des entreprises passe par le renforcement du pouvoir des salariés »
Posté par communistefeigniesunblogfr le 24 janvier 2013
DÉMOCRATISER LE TRAVAIL
« La compétitivité des entreprises passe par le renforcement
du pouvoir des salariés »
Par Ivan du Roy (24 janvier 2013)
Que signifie vraiment être compétitif
pour une entreprise ?
Est-ce réduire les coûts à tout prix, quitte
à détruire les compétences des salariés
et à étouffer toute créativité ?
Pour François Daniellou, professeur
d’ergonomie à l’École nationale
supérieure de cognitique,
la compétitivité des entreprises françaises passe au contraire par une démocratisation du travail
et un renforcement du pouvoir des salariés, les mieux à même de définir
« ce qui fait la performance de leur activité ». Une démocratisation dont le patronat ne veut pas.
Basta ! : « La crise sert à tester jusqu’où on peut aller dans la flexibilité », alertiez-vous
il y a quatre ans. Quel bilan dressez-vous aujourd’hui ?
François Daniellou [1] : Il existe une flexibilité visible : le chômage partiel, les grands plans de licenciements
ou de suppressions d’emplois dans l’industrie. Et une flexibilité quasiment invisible : la sous-traitance
en cascade dans le BTP, le recours à des salariés, notamment étrangers, dans des conditions extravagantes.
Le niveau d’inventivité de formes d’emplois de plus en plus précaires est sans limite ! En tant qu’ergonome,
quand j’accompagne un inspecteur du travail, j’ai l’impression de visiter les soutes de la République.
Dans une agence d’intérim, un inspecteur a même découvert un logiciel d’optimisation des fraudes. La crise a
bien été l’occasion de perfectionner sans arrêt la précarité de l’emploi.
Comment renverser le discours dominant qui présente le travail essentiellement comme un coût,
comme une charge pour les entreprises ?
Si on paie un ouvrier, cela veut bien dire que l’on a besoin de son intelligence, sinon le poste serait automatisé.
Si c’est juste faire ce qui est prévu, il n’y a pas besoin d’un travailleur. Ce qui fait la compétitivité
des entreprises, c’est la compétence des salariés. Dans toute situation de travail, des choses ont été prévues
par l’organisation et le management, d’autres non. Si les travailleurs faisaient seulement ce qu’on leur demande,
rien ne sortirait des ateliers ou des bureaux. Cela s’appelle la grève du zèle. Pour pallier l’imprévu, les travailleurs
déploient leur intelligence. Or, dans la majorité des entreprises françaises, les travailleurs sont obligés de
se battre contre l’organisation pour compenser ce qui n’a pas été prévu. Ils le font dans l’ombre, sans que cela
soit reconnu, débattu ou rémunéré. Quand ils sont obligés de prendre énormément sur eux pour bien faire
leur travail, quand l’écart entre ce que le management leur dit de faire et ce qu’ils doivent réellement accomplir
pour que cela fonctionne est trop important, cela engendre des problèmes de santé. En France, on utilise
l’intelligence des salariés à compenser les carences de l’organisation plutôt qu’à la faire progresser.
En photo : scène du film Brazil (Terry Gilliam, 1985)
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