Sondage
Jérôme Fourquet : « La lutte des classes est un constat »
Sondage Ifop-l’Humanité :
Estimez-vous qu’en France, à l’heure actuelle, la lutte des classes est une réalité ?
Au vu du sondage Ifop que l’Humanité publie ce mercredi, la lutte
des classes est une réalité bien vivante. N’en déplaise à Jérôme
Cahuzac, qui assénait à Jean-Luc Mélenchon lors de leur débat de
lundi soir :
« La lutte des classes, au fond, ça résume notre réelle divergence.
Vous, vous y croyez toujours et moi je n’y ai jamais cru ».
Pour le directeur du département opinion de l’Ifop, qui a mené
cette étude sur les Français et le lutte des classes, Jérôme Fourquet,
« la perception d’une société divisée en classes reste opérante ».
N’est-il pas surprenant
de constater que le sentiment d’appartenance
à une classe sociale
ne recule pas ?
Jérôme Fourquet. Quand on voit ces chiffres, cela remet un peu en cause ce que l’on disait du déclin
de la conscience de classe qui allait avec le déclin du marxisme. Au milieu des années 1980, un Français sur deux
disait avoir le sentiment d’appartenir à une classe. Cette année, vingt-six ans plus tard, ces chiffres n’ont pas bougé.
Cette perception d’une société divisée en classes et de l’appartenance à une classe reste opérante. Cela, sans le
contredire, permet de remettre légèrement en question l’idée d’une montée des classes moyennes
qui marcherait de pair avec une société de plus en plus individualisée. Je pense que l’élément à retenir, c’est que
le vocable de classe sociale n’est pas périmé.
- Question : Avez-vous le sentiment d’appartenir à une classe sociale ?
Le oui par catégories socioprofessionnelles
C’est pourtant parmi les revenus relativement hauts que le sentiment d’appartenance semble
le plus prégnant…
Jérôme Fourquet. Cela n’a guère bougé depuis les années 1960. Les choses n’ont pas tant basculé qu’on
le dit après 1968. Mais attention, dire qu’on se sent appartenir à une classe sociale n’implique pas
la reconnaissance de la grille d’analyse marxiste de la société. Pour beaucoup de Français, ce sentiment
est celui d’appartenir à la classe moyenne. Et le sentiment d’un risque de dégringolade, de déclassement,
peut renforcer ce sentiment d’appartenance.
Compte tenu des résultats sur la question
de l’appartenance à une classe sociale,
les réponses
à votre question sur l’actualité de la lutte des classes sont surprenantes…
Jérôme Fourquet. À la veille de 1968, nous étions 20 points plus bas qu’aujourd’hui ! La lutte des classes
est un terme connoté au marxisme. Sans doute, cette doctrine a beaucoup perdu de son influence, mais
pour autant, l’idée d’antagonismes d’intérêts entre les groupes sociaux est très nettement majoritaire
aujourd’hui. Sans doute la crise n’y est-elle pas pour rien : une partie de la campagne présidentielle s’est
faite sur la fiscalité avec des propositions fortes (taxe à 75 %, salaire maximum…). Si l’idée de la lutte
des classes comme moteur historique
de l’évolution des sociétés a perdu du terrain, l’idée qu’il y a des conflits
de classes se porte bien.
- Question : estimez-vous qu’en France, à l’heure actuelle, la lutte des classes est une réalité ?
Le oui par catégories socioprofessionnelles
Que peut-on conclure de cette progression ?
Jérôme Fourquet. Avec une acception qui n’est plus tout à fait celle du marxisme, la lutte des classes est
sans doute moins un fait qu’un constat. Certains peuvent reconnaître l’actualité de la lutte des classes pour
la regretter, comme quand on entend à droite que « la France n’aime pas les riches ».
La conclusion que nous pouvons tirer est que nous ne vivons pas dans une société apaisée. La crise a accru
les inégalités. Cela ne fait qu’aggraver les tensions. On retrouve cela politiquement en voyant une courbe en U
sur l’échiquier politique : l’existence de la lutte des classes est plus fortement reconnue aux deux extrêmes.
Entretien réalisé par
Adrien Rouchaleou
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