Naufragés dans le silence, expulsés dans le mépris…
Lundi 16 janvier au matin, un Kwassa Kwassa (embarcation de fortune)
en provenance d’Anjouan s’échoue sur la barrière de corail de Mayotte
avec une quarantaine de personnes à son bord.
Un pêcheur porte secours à 27 naufragés et prévient la gendarmerie.
Les autres naufragés tentent de rejoindre à la nage un îlot distant de 15 km.
Aux alentours de 15h l’hélicoptère de la gendarmerie puis la brigade nautique
arrivent sur place.
Une trentaine de personnes sont sauvées. Trois corps sont retrouvés. Une dizaine de naufragés sont portés
disparus. A 20h30, les trente rescapés sont ramenés à terre au port de Mamoudzou.
Les membres de La Cimade sont sur place et témoignent : « Nous les avons vus, ces hommes et ces femmes, un enfant même, de 8 ans peut-être, pliés en deux, épuisés et déshydratés, pas de boisson à leur disposition mais des couvertures de survie. Ils marchaient très lentement, certains se sont écroulés. Les ambulances faisaient les va-et-vient entre l’hôpital et le ponton… Mais la police aux frontières était déjà là aussi, prête à expulser les rescapés affaiblis, équipée d’un bus et de deux camions grillagés ».
Finalement, les rescapés seront tous conduits à l’hôpital. Mais dès le lendemain midi, après un très bref passage au centre de rétention, une partie d’entre eux étaient expulsés. Les autres le seront le lendemain.
Aucun de ces rescapés n’aura eu le temps de se remettre du traumatisme de ce naufrage. Aucun n’a pu faire de recours contre cette expulsion tout aussi expéditive que les milliers d’autres mises en œuvre chaque année par l’administration (26.000 en 2010).
Pourtant, ces personnes devraient selon la législation bénéficier d’un délai de 24 heures avant d’être expulsée ainsi que du droit à un recours effectif contre cette décision administrative. Mais à Mayotte, la loi est différente de celle qui s’applique à Paris. Pas de recours effectif, ni de délai pour les expulsés, fussent-ils des rescapés traumatisés et affaiblis, et quels que soient leurs droits de vivre à Mayotte. Certains membres de la famille de ces rescapés vivent à Mayotte et n’ont pas pu les contacter avant leur expulsion.
Mayotte, 101ème département français, est le plus grand cimetière marin du monde. Tous les observateurs s’accordent pour considérer que des milliers de personnes ont disparu suite à des naufrages en tentant de traverser les 70 kilomètres d’Océan indien qui séparent Mayotte d’Anjouan. Il s’agit là d’une pratique séculaire de circulation d’une île à l’autre, mais celle-ci est devenue mortelle depuis que la frontière de Mayotte s’est fermée aux îles voisines comoriennes.
D’une façon générale, les membres de La Cimade constatent actuellement une dégradation de la situation des migrants à Mayotte. A des conditions matérielles d’enfermement déjà largement dénoncées comme contraires à la dignité des personnes, les autorités ajoutent un traitement expéditif des expulsions et une surdité quasi totale aux demandes et aux recours formulés par les associations.
> Pour en savoir plus
Source : La Cimade Outre-mer – 19 janvier 2012
Source illustration ajoutée : http://wongo.skyrock.com/