Poète visionnaire du métissage, le grand écrivain antillais Édouard Glissant est mort à Paris, ce 3 février. Il était né à Sainte-Marie (Martinique) le 21 septembre 1928.
Romancier, essayiste et poète, Édouard Glissant avait compris « combien le grand barattage des langues, des peaux et des cultures auquel on assiste aujourd’hui produit un monde nouveau. (…) Mais à la mondialisation et à son uniformité réductrice, à l’arasement des cultures minoritaires, [il préférait] un «Tout-Monde» ». (source telerama.fr)
Solidaire de toutes les identités, en 2007, il avait condamné la politique d’immigration de N. Sarkozy et de son sinistre Besson et lancé avec Patrick Chamoiseau un appel à résister contre le ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale.
Extrait de : Quand les murs tombent, l’identité nationale hors la loi ?
« Les murs menacent tout le monde, de l’un et l’autre côté de leur obscurité. C’est la relation à l’Autre (à tout L’Autre, dans ses présences animales, végétales, environnementales, culturelles et humaines) qui nous indique la partie la plus haute, la plus honorable, la plus enrichissante de nous-mêmes.
Nous demandons que toute les forces humaines, d’Afrique d’Asie, des Amériques, d’Europe, que tous les peuples sans États, tous les «Républicains», tous les tenants des «Droits de l’Homme», que tous les artistes, toute autorité citoyenne ou de bonne volonté, élèvent par toutes les formes possibles, une protestation contre ce mur-ministère qui tente de nous accommoder au pire, de nous habituer peu à peu à l’insupportable, de nous faire fréquenter, en silence, jusqu’au risque de la complicité, l’inadmissible.
Tout le contraire de la beauté. »
Extrait de l’entretien qu’il avait accordé à Rosa Moussaoui et Fernand Nouvet pour l’Humanité (6 février 2007)
La mondialisation est désormais un fait. On ne peut vivre chacun isolément : nos destins sont mélangés. Ce qui se passe en Chine ou au Darfour engage l’avenir de ce qui se passe en Europe ou dans la Caraïbe, et inversement. La mondialisation, comme phénomène, s’installe, avec ses aspects négatifs. La libéralisation des marchés n’est pas autre chose qu’une entreprise de massacre des peuples. L’uniformisation des cultures est une gigantesque tentative de stériliser les imaginaires individuels et collectifs. La loi du profit tue autour de nous les arbres, les fleuves, les forêts, et par conséquent les humanités. Mais une fois ces constats faits, faut-il, pour lutter, se replier sur son lieu, refuser ce mouvement du monde ? Évidemment non ! C’est seulement un imaginaire du monde, c’est-à-dire une conception de la « mondialité », qui nous permettra de lutter contre les aspects négatifs de la mondialisation. Je crois qu’il faut adopter le principe : agis dans ton lieu, pense avec le monde. C’est cela la « mondialité ». Une politique du monde qui s’oppose aux aspects négatifs de la mondialisation.
Depuis plus d’un demi-siècle, Édouard Glissant nous inspire, lui qui n’a cessé d’explorer l’indispensable dialectique entre politique et poétique. En 1956, il écrivait dans Soleil de la conscience :
« Le poème offre au lecteur un espace qui satisfait son désir de bouger, d’aller hors de lui-même, de voyager par une terre nouvelle, où pourtant il ne se sentira pas étranger« .
En 2010, il a publié La terre, le feu, l’eau et les vents – une anthologie de la poésie du Tout-monde, éblouissant florilège dans lequel il avait réuni, de par les siècles et de par les géographies, des paroles essentielles parce qu’elles disent l’être dans ce que celui-ci a de plus prometteur : son humanité. Et, donc, une façon d’aborder aussi l’inhumanité, la barbarie. (source : humanite.fr)
Communiqué du PCF
« Édouard Glissant savait lire le monde dans ce qu’il portait
de meilleur »
Édouard Glissant, l’homme qui a ouvert la porte au Tout-Monde est mort ce matin. Poète et philosophe, il savait lire le monde dans ce qu’il portait de meilleur. Édouard Glissant voulait en développer une nouvelle conception qui, à l’opposé de la mondialisation économique, s’appuierait sur ce qu’il nommait la « mondialité ». Édouard Glissant n’était pas homme à se retrancher. Il descendait dans l’arène en donnant son point de vue poétique et politique sur les évènements qui le marquaient. Ainsi, il avait récemment créé l’Institut du Tout-Monde pour, « à l’écoute des mélodies du monde, favoriser la pratique culturelle et sociale des créolisations. et la connaissance de l’imaginaire des peuples dans leur diversité ». Avec Patrick Chamoiseau, son ami, il a publié et fait circuler un texte marquant, « Quand les murs tombent », mettant en évidence le recul de civilisation que signifiait la mise en place, par Nicolas Sarkozy, du ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Codéveloppement. Édouard Glissant était un homme d’action qui mettait en partage avec le peuple ses mots, ses idées, sa poésie.
Je me rappelle avec émotion sa conférence lors de notre Université d’été, en aout 2008, et l’échange chaleureux qui lui a succédé; c’était un homme du partage et de la relation. Ma tristesse, ainsi que celle des communistes est immense ce matin. Son décès laisse de très nombreuses personnes un peu seules face à « l’intraitable beauté du monde ». Je pense à Sylvie Glissant, son épouse, à ses enfants, à ses innombrables amis et je leur adresse mes sincères et affectueuses condoléances.
Pierre Laurent, Secrétaire national du PCF,
Édouard Glissant : Poésie toute ! Lecture du Samedi 21 mars 2009 (Théâtre St-Gervais, Genève) organisée par l’association MLG (http://www.maisondelalitterature.ch)
http://www.youtube.com/watch?v=4hl7D4iKLrk&feature=player_embedded#