« Nous devons être respectueux de la démocratie,
mais quand quelque chose nous apparaît non légitime, même si c’est légal,
il nous appartient de protester, de nous indigner et de désobéir »
Stéphane Hessel.
6 décembre 2010 – Entretien réalisé par
P. Du.
Citoyenneté
Élisabeth Weissman :
« Tous les désobéisseurs sont syndicalistes »
Élisabeth Weissman, auteure de la Désobéissance éthique, explique l’émergence de ce nouveau mode de lutte.
Pourquoi ce forum des résistants
du service public a-t-il été organisé pour la première fois ?
Élisabeth Weissman. Il y a une extrême cohérence dans cette casse du service public qui frappe
de manière simultanée tous les agents. Il y a parfois des différences liées aux métiers : les policiers, les psys, les conseillers
de Pôle emploi doivent, par exemple, assurer une surveillance des populations du fait des politiques sécuritaires. Mais tous les agents se retrouvent en conflit de loyauté entre ce qu’on leur demande de faire et ce qu’ils ne peuvent pas faire, car cela heurte leur conscience professionnelle
et individuelle. Ce qui est nouveau, c’est l’ampleur de cette souffrance éthique qui les pousse à désobéir.
Quelle est la différence avec l’Appel des appels, dans lequel vous étiez très impliquée ?
Élisabeth Weissman. L’Appel des appels a bien analysé cette dénaturation des métiers en raison du démantèlement des services publics et de l’application des techniques managériales du privé. Avec ce forum, les désobéisseurs souhaitent dépasser l’analyse
de la plainte, faire converger les actions et fédérer.
La désobéissance éthique n’est-elle pas contraire à l’action collective ?
Élisabeth Weissman. Cette résistance est marquée à tort
du sceau de l’individualisme. Si la désobéissance éthique part souvent d’une objection de conscience, individuelle, les désobéisseurs ont très vite créé un réseau et une charte. Ils veulent s’inscrire dans une démarche collective, sans
se poser en concurrents des syndicats. Certes, rares sont
les syndicats qui appellent
à la désobéissance. Ils défendent traditionnellement les conditions d’emploi et les salaires, alors que les désobéisseurs se préoccupent avant tout de l’intérêt des usagers et défendent une vision du monde plus politique.
Mais tous les désobéisseurs éthiques sont syndicalistes, et tous essaient d’entraîner leurs organisations.
Et celles-ci, malgré leurs réticences, ne les ont jamais désavoués quand ils ont été sanctionnés. Dominique Liot, par exemple, puni pour avoir rétabli le courant avec les Robins des bois d’EDF, a été fortement soutenu par la CGT.
Par ailleurs, la période du compromis social est révolue face à un pouvoir sourd au dialogue. Contre la réforme des retraites, les grèves et les manifs durant plusieurs jours n’ont pas permis la victoire. Or le gouvernement a besoin de l’obéissance des fonctionnaires pour appliquer ses réformes. En bonne marxiste, je dirais que l’analyse concrète de la réalité montre que ces nouvelles formes de lutte sont plus efficaces. Par leurs actions, ces résistants appellent à revoir
le logiciel des luttes.
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