» Sommes-nous prêts à accepter qu’en notre nom, l’État enferme 35 000 personnes chaque année ? «
Posté par communistefeigniesunblogfr le 7 octobre 2010
le 6 Octobre 2010 – Entretien réalisé par M. B.
Ève Chrétien « Rendre transparents les murs de la rétention »
Intervenante au centre de Palaiseau pendant deux ans, Ève Chrétien nous explique l’objectif de ce livre : « parler autrement de ceux que l’État enferme ».
D’où vous est venue l’idée de ces chroniques et comment avez-vous travaillé à presque trente auteurs ?
Ève Chrétien. La solidarité active est notre mission : le témoignage en fait partie. La Cimade faisait déjà des rapports, beaucoup d’interventions publiques sur la question. Mais il est très difficile de « dire » la rétention, d’autant que le ministère de l’Immigration fait tout pour cacher la réalité de ces centres. L’idée est venue de nous tous, des échanges que nous avions au quotidien à travers toute la France et travailler à plusieurs n’a pas été une contrainte, mais une force. La diversité de nos voix, de nos perceptions, rend les chroniques plus intéressantes pour le lecteur. Nous avons simplement rassemblé nos mots, et pris sur nous de parler autrement des hommes, des femmes et des enfants qui sont enfermés par l’État. De leurs visages.
Vous témoignez beaucoup de la difficulté de travailler dans un centre de rétention (cauchemars, sentiment d’incapacité…), est-ce aussi un livre expiatoire pour les intervenants ?
Ève Chrétien. Non, la parole que nous proposons est d’abord du témoignage. Dire que, dans certains centres, les étrangers sont réveillés toutes les demi-heures pour être comptés, ou que parce qu’elles n’ont pas droit au papier et aux stylos, certaines personnes en sont réduites à graver le numéro de leur avocat à l’ongle sur un savon, n’est pas fait pour nous libérer d’un poids, mais bien pour dénoncer ces pratiques inhumaines. L’État agit dans ces lieux au nom de la société civile française, qui lui a donné mandat. En tant que témoins, nous nous devons d’informer les gens. De rendre les murs transparents pour que la société constate d’elle-même ce qu’il en est et qu’elle puisse se positionner.
Depuis janvier, la réforme Hortefeux-Besson a divisé l’aide juridique aux étrangers retenus. Qu’est-ce que ça a changé pour vous ? Ce livre est-il aussi là pour dire que la Cimade ne se taira pas ?
Ève Chrétien. Il est certain que faire des droits de l’homme un marché est une chose très grave en termes de sens. Mais la nouvelle loi que M. Besson propose continue dans cette voie : les atteintes aux droits fondamentaux sont multiples, des populations sont clairement montrées du doigt, les possibilités pour les étrangers de se défendre des attaques administratives se réduisent encore. Si l’on y ajoute la création d’un nouveau camp, dans le village du Mesnil-Amelot, il est évident pour nous que la nécessité de donner l’alerte contre cette politique est une urgence. Car elle détruit les valeurs humaines les plus élémentaires : la solidarité, le respect des droits, le respect de la dignité de toute personne.
D’aucuns vous reprochent de participer au système d’enfermement en étant à l’intérieur. Ce livre a-t-il aussi été écrit pour montrer que votre capacité d’indignation restait intacte ?
Ève Chrétien. Nous ne parlons pas pour montrer que nous sommes indignés, mais parce que nous sommes indignés. Notre regard à tous doit changer : l’autre n’est pas une menace, au contraire, il lutte avec nous contre les difficultés de la société. Il nous apporte d’être plus humains car c’est aussi dans son regard que nous existons. Les gens qui sont enfermés dans les centres de rétention ne sont pas des migrants. C’est l’homme qui est un migrant depuis la nuit des temps. Et notre façon de l’accueillir révèle qui nous sommes. Sommes-nous prêts à accepter qu’en notre nom, l’État enferme 35 000 personnes chaque année ? Sommes-nous prêts à croire qu’il fait bon vivre à Kaboul ou à Colombo ?
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