Source : Le Grand Soir – 17 mai 2010
Auteur : Éric TOUSSAINT
docteur en sciences politiques, préside le CADTM Belgique (Comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde, www.cadtm.org) ; auteur de Un coup d’œil dans le rétroviseur*. L’idéologie néolibérale des origines jusqu’à aujourd’hui, Le Cerisier, Mons, 2010 ; coauteur avec Damien Millet de La Crise. Quelles Crises ?, Aden-CADTM-Cetim, Bruxelles-Liège-Genève, 2010.
La religion du marché
Éric TOUSSAINT
dessin : Nicholson, « Intéressant… Le fossé entre riches et pauvres n’est pas aussi grand que nous le pensions ».
Presque tous les dirigeants politiques, qu’ils soient de la gauche traditionnelle ou de la droite, qu’ils soient du Sud ou du Nord, vouent un véritable culte au marché, aux marchés financiers en particulier. Il faudrait plutôt dire qu’ils fabriquent une religion du marché. Chaque jour, une messe est dite pour honorer le dieu Marché dans chaque foyer muni d’une télévision ou d’une connexion internet, au moment où l’on rend compte de l’évolution des cotations en Bourse et des attentes des marchés financiers. Le dieu Marché envoie des signaux par la voix du journaliste économique ou du chroniqueur financier. Ce n’est pas seulement vrai pour tous les pays les plus industrialisés, c’est vrai aujourd’hui pour la majeure partie de la planète.
[...]
Pourquoi a-t-on donné des atours religieux à de simples opérateurs ? Ils ne sont ni des inconnus, ni de purs esprits. Ils ont un nom, une adresse : ce sont les principaux dirigeants des deux cents grandes transnationales qui dominent l’économie mondiale avec l’aide du G7, la complaisance du G20 et des institutions telles que le FMI, revenu grâce à la crise sur le devant de la scène après une période de purgatoire. Il y a aussi la Banque mondiale et l’Organisation mondiale du commerce (celle-ci est assez mal en point, mais elle sera peut-être aussi à nouveau élue par les dieux). Les gouvernements ne font pas exception : ils ont abandonné les moyens de contrôle qu’ils détenaient sur ces marchés financiers. Les investisseurs institutionnels (les « zinzins » : grandes banques, fonds de pensions, assurances, hedge funds…) qui les dominent ont reçu des gouvernements des milliers de milliards de dollars sous forme de dons ou de prêts qui servent à les remettre en selle après la débâcle de 2007-2008. La Banque centrale européenne, la Réserve fédérale des États-Unis, la Banque d’Angleterre leur prêtent chaque jour, à un taux inférieur à l’inflation, des mannes de capitaux que les « zinzins » s’empressent d’utiliser de manière spéculative contre l’euro, contre les trésoreries des États, sur le marché des matières premières…
Aujourd’hui, l’argent peut circuler d’un pays à l’autre sans le moindre prélèvement d’impôt. Trois mille milliards de dollars circulent chaque jour dans le monde par-dessus les frontières. Moins de 2% de cette somme servent directement au commerce mondial ou aux investissements productifs. Plus de 98% servent à des opérations spéculatives principalement sur les monnaies, sur les titres de la dette, sur les matières premières.
Il faut mettre fin à cette banalisation d’une logique de mort. Il faut créer une nouvelle discipline financière, exproprier le secteur financier et le mettre sous contrôle social, taxer fortement les « zinzins » qui ont provoqué puis profité de la crise, auditer et annuler les dettes publiques, mettre en œuvre une réforme fiscale redistributive, réduire radicalement le temps de travail afin d’embaucher massivement tout en garantissant le montant des salaires… Face à cette religion du Marché, commencer à mettre en oeuvre un programme fondamentalement laïc. Anticapitaliste, en somme…
[Article complet : legrandsoir.info/]
*
Un coup d’oeil dans le rétroviseur
Editions du Cerisier - 8€
On peut commander le livre en ligne sur le site du CADTM !
« Eric Toussaint est un des économistes les plus brillants et le plus influents de sa génération. Fondateur du CADTM, il s’est universellement fait connaître par sa lutte exemplaire contre la « dette odieuse » qui écrase tant de pays du Sud. Son nouveau livre apporte une critique fondamentale, érudite et lucide des théories de légitimité utilisées par les oligarchies du capital financier. »
Jean Ziegler (Source : http://www.cadtm.org/Francais)