L’Humanité - 6 avril 2010
Enquête Formation des maîtres
« Une réforme parfaitement cohérente »
Christian Laval, sociologue, chercheur à l’Institut de recherches de la FSU et membre du Conseil scientifique d’Attac.
Cette réforme de la formation se présente comme un désastre unanimement dénoncé par tous ceux qui connaissent le dossier. Et derrière l’apparence du grand « n’importe quoi », le gouvernement et la droite néolibérale avancent avec une grande cohérence.
La première raison de cette réforme est bien connue : elle est budgétaire. Il s’agit d’économiser des milliers de postes. Le député UMP Dominique Le Mèner estime le « gain » à environ 6 000 postes à plein-temps. Cela correspond au vœu de Nicolas Sarkozy dans sa lettre aux éducateurs de 2007 : « Dans l’école que j’appelle de mes vœux, les enseignants seront moins nombreux. » Le président tient parole sur ce point.
Mais n’oublions pas la stratégie, bien formulée par le député UMP Benoist Apparu en mai 2009 : « Seule la baisse des moyens obligera l’institution à bouger. » Car derrière la volonté d’économies, il y a d’autres raisons plus profondes. Et notamment celle de transformer l’école en une entreprise gérée comme une autre. Cette tendance est lourde, massive, générale. Et les réformes multiples, successives, fragmentées sont comme les pièces d’un puzzle que l’analyse peut reconstituer.
Comment ne pas voir, en effet, que l’affaiblissement programmé de la qualité professionnelle des enseignants est en lien étroit avec la nouvelle gestion des personnels axée sur la mobilité et la précarité ? Comment ne pas voir que la suppression des IUFM a les plus grands rapports avec l’autonomie des universités et la mise en marché de toutes les formations ? Comment ne pas voir que cette mise en cause de la formation des maîtres est le corrélat de la mise en place de tous les outils managériaux de contrôle des enseignants ? Ce mode de contrôle par le management de la performance et par la pression concurrentielle est le principe qui donne aux réformes, du primaire jusqu’à l’université, leur cohérence.
Le choix néolibéral, c’est la gouvernance managériale plutôt que la formation humaine. D’où l’effort de constitution d’une hiérarchie intermédiaire disposée à faire fonctionner la nouvelle entreprise. D’où également l’envahissement de l’école par des technologies qui prétendent faire passer l’enseignement d’un artisanat méprisable à une hypermodernité admirable. Un néo-taylorisme qui, en attaquant le « cœur du métier », risque fort de détruire ce qui rend encore possible l’enseignement.
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Les opposants à cette réforme sont nombreux et viennent d’horizons divers. Syndicats, parents d’élèves, formateurs, universitaires, inspecteurs, CPE, proviseurs… l’ensemble de la communauté éducative réclame depuis des mois le retrait de la « mastérisation ». La pétition « 100 000 voix pour la formation » a recueilli près de 800 000 signatures.
( pétition sur : http://www.100000voixpourlaformation.org/)
Parmi les prises de position, signalons celle des des professeurs et universitaires de lettres classiques :
Deuxième motion du jury de CAPES de lettres
classiques
Publiée par : Sauvons l’Université - 4 avril 2010, par mathieu
Les membres du jury du Capes de Lettres Classiques ont pris connaissance des conditions dans lesquelles le Ministère, par l’intermédiaire de monsieur Santana, a convoqué individuellement Mme S. Luciani, vice-présidente du jury, suite à leur première motion, fruit d’une concertation collective et argumentée, votée à une large majorité, soutenue par la 8ème section du CNU comme par toutes les associations de promotion des humanités classiques, et visant à dénoncer le caractère pernicieux de la réforme mise en œuvre par l’Arrêté du 28 décembre 2009 fixant les sections et les modalités d’organisation des concours du certificat d’aptitude au professorat du second degré, publié au Journal Officiel du 6 janvier 2010.
Après avoir été informé de la convocation et de la teneur de l’entretien, le jury du Capes de Lettres Classiques tient à affirmer les points suivants :
1. Exprimer de façon publique et argumentée son opinion sur les réformes en cours est pour tout enseignant un droit, garanti à tous les citoyens par la liberté d’expression ; ce droit relève de la déontologie lorsque l’enseignant fait partie d’un jury habilité à apprécier les connaissances et compétences d’un candidat au métier d’enseignant.
2. Les membres d’un jury de concours national d’enseignement, quel que soit leur statut, ne sauraient être tenus pour des exécutants muets du Ministère, mais demeurent, collectivement et individuellement, soucieux de la qualité de la formation et du recrutement des enseignants ; seule cette qualité peut garantir la valeur des enseignements qui seront dispensés par les futurs admis au concours, et l’égalité des conditions d’accès aux connaissances et compétences que tout futur citoyen est en droit d’acquérir dans le cadre de l’école publique. Or c’est cette qualité que la réforme en cours met gravement en péril.
3. Les membres du jury de Capes de Lettres Classiques demandent à nouveau instamment l’ouverture de la concertation qui avait été promise par le Ministère comme préalable à la publication des arrêtés, et qui n’a pas eu lieu. Cette concertation doit porter notamment sur le calendrier et les modalités des épreuves écrites et orales du concours, dont ils continuent d’estimer qu’ils ne permettront pas, en l’état des textes, d’évaluer équitablement les candidats. À ce titre, les membres du jury renouvellent les remarques et propositions qui faisaient l’objet de la première motion.
4. Tant que les discussions n’auront pas abouti, les membres du jury de Capes de Lettres Classiques ayant approuvé et signé la première motion, forts de leur expérience en matière de recrutement des professeurs de lycées et collèges comme en matière d’enseignement, entendent persister dans leur intention et leur propos, et continueront de faire connaître, au Ministère comme à l’opinion publique, les raisons argumentées de leur opposition ferme à la réforme imposée sans concertation.
Signer une pétition de soutien au jury du CAPES de Lettres classiques.