26 février 2010 – Maurice Ulrich
Le ministère de la honte
On doit s’esclaffer, dans les conseils d’administration, quand fonctionnent les pièges de l’identité et de la xénophobie.
Par Maurice Ulrich
Le bilan du ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale, de son très zélé ministre Éric Besson, aux ordres, comme jamais, du chef de l’État, a dessiné une sombre image de la France. Elle n’est plus, pour des millions d’hommes et de femmes, la terre des droits de l’homme mais un pays fermé, violent, policier. Un pays où l’on traque, où l’on expulse, où des hommes et des femmes vivent dans la clandestinité et la peur, où l’on vient chercher des enfants dans les écoles, où des adolescentes sont traînées dans des commissariats avant d’être renvoyées dans des pays qu’elles ne connaissent même pas. Un pays où il faut désormais, pour faire renouveler ses papiers, faire la preuve que l’on est français depuis plusieurs générations. Regardons-nous, tous ensemble : qu’est-ce qui arrive à la France, notre France à tous ?
Ce ministère est un ministère de la honte et disons-le aujourd’hui, dans la rue. Nous, la France des droits de l’homme, de l’accueil, exigeons qu’il soit supprimé. Qu’est-ce qu’être français ? Ce débat tout à la fois nauséabond et minable a, au total, tourné court, tant il était manifeste que trop de participants y venaient pour une sorte de lâche soulagement, quand des élus de la majorité eux-mêmes y allaient de leur couplet xénophobe. Et que dire de cette affiche de l’UMP sur la sécurité avec trois silhouettes noires de dos. Que dire de cette opération égouts de la droite dans le Val-d’Oise et contre la tête de liste du PS ?
Qui peut être dupe des sordides calculs qui ont mené à ces manœuvres ? À l’approche des élections régionales, la droite, allant une fois de plus chercher dans les bas-fonds de ses traditions idéologiques, entend détourner l’attention, diviser les salariés, attiser les peurs et au besoin l’islamophobie. Et pendant ce temps, est-il besoin de le rappeler, des dirigeants d’entreprise et de banque, Français ou pas car là, personne ne s’en préoccupe, licencient, délocalisent, font passer d’un clic des fortunes d’un pays à l’autre, pillent des nations et des peuples. On doit parfois s’esclaffer, dans les ministères et les conseils d’administration, quand fonctionnent les pièges racistes de l’identité et de la xénophobie, quand se divisent les victimes d’une politique toujours plus dure envers les pauvres, les plus modestes.
Car il ne s’agit pas seulement d’une stratégie électorale, aussi réelle soit-elle. Il s’agit d’une vision du monde, d’un remodelage du monde. Le capitalisme mondialisé enfonce toujours plus des pays dans la crise. En Europe même, la Grèce en témoigne, et quelles tentations racistes et xénophobes espèrent les milieux d’affaires qui ont baptisé les pays les plus fragiles « les pigs », les porcs ? L’Europe elle-même n’est pas à l’abri du pire.
Le capitalisme n’a pas besoin de démocratie mais de ses apparences. Il n’a pas besoin de citoyens mais de producteurs et de clients, il n’a pas besoin de droits, mais de sans-droits. D’un côté, il contraint des millions d’hommes et de femmes à tenter à tout prix de rejoindre les pays les plus riches. De l’autre, il les utilise pour peser sur les acquis sociaux, y compris en habituant les citoyens à des pratiques policières aux marges du droit. Aujourd’hui dans la rue. Dans quinze jours dans les urnes. Cette politique-là craint le peuple et sa liberté de choix.