L’Humanité - 1er septembre 2009 – Philippe Jérôme
Malades du travail chez France Télécom
Dans l’entreprise, on se dit « tristes mais pas étonnés » par le suicide de 21 salariés ces derniers mois. Chez France Télécom, le « management par la terreur » tue. Témoignages de salariés pressurés.
Pas de noms, des prénoms modifiés donc et bien sûr pas de photos. C’est à cette condition que nos interlocuteurs, à l’exception de Guy Antoine, délégué CGT de l’établissement principal France Télécom du Sud-Est, ont accepté de s’exprimer dans nos colonnes à propos du suicide récent d’un salarié de Marseille, accusant dans une lettre son « travail » pour expliquer son geste. Monique, conseillère clients chez Orange Mobile, justifie ainsi cette autocensure : « Je me suis mise en avant une fois, à la suite de quoi j’ai été placée seule dans un bureau à ne rien faire pendant six mois. J’ai exercé huit fonctions différentes en vingt-cinq ans et j’ai déménagé quatorze fois, je ne supporterais pas une quinzième. »
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Publié sur : http://sociologias-com.blogspot.com/ – 1er sept 2009
Suicides à France Télécom : hypocrisie sur toute la ligne
Ivan du Roy
Extraits :
Médecins du travail ignorés
Pourtant, il n’y a rien de bien nouveau pour prévenir stress et souffrances au travail. Adapter au secteur des télécoms l’accord national interprofessionnel sur le stress (étendu à toutes les entreprises par le décret du 23 avril 2009) est de toute façon inéluctable si l’entreprise souhaite éviter d’être pénalement responsable des atteintes à la santé physique et mentale des travailleurs. Quant aux médecins du travail de France Télécom, ils sont depuis trois ans victimes d’une curieuse épidémie : treize (sur 70) ont démissionné, certains laissant entendre dans leurs lettres qu’ils ne peuvent exercer correctement leur rôle de prévention, quant leurs alertes sur la montée du stress ne sont pas purement et simplement ignorées et oubliées dans de poussiéreux placards par les dirigeants du groupe.
Depuis dix ans, parallèlement à la privatisation progressive de l’ancienne entreprise publique, initiée sous le gouvernement Jospin, et aux innombrables restructurations et réorganisations qui l’accompagnent (22.000 suppressions d’emplois entre 2006 et 2008), plusieurs rapports de médecins du travail insistent régulièrement sur l’état de « mal-être » des salariés confrontés à une « détresse morale importante ». « Le stress, le désarroi, les troubles anxio-dépressifs liés aux transformations du travail ne cessent de s’accroître chez le personnel. Les salariés ont de plus en plus de mal à se reconnaître dans ce qu’ils font. Certains éprouvent un sentiment de culpabilité, ils s’isolent, se replient… Parfois, le coût psychique que représente cette épreuve est trop lourd, c’est alors qu’apparaissent la dépression et les problèmes de santé », consignait, dès 2006, un médecin du travail de la région Rhône-Alpes. Comme d’autres praticiens, il n’a pas été écouté.
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Observatoire censuré
Un questionnaire de l’Observatoire du stress, dont les résultats ont été publiés à l’automne 2008, indique que deux salariés sur trois se déclarent stressés et qu’un sur six se dit en situation de détresse. La réponse de la direction à la mise en ligne du questionnaire a été d’interdire l’accès du site de l’observatoire à partir des ordinateurs internes au groupe. Les sociologues [3] qui ont réalisé l’étude pour l’observatoire dénoncent « l’art de programmer la maltraitance au travail ».
[3] Noëlle Burgi, politologue et sociologue, C.N.R.S. Centre de recherches politiques de la Sorbonne Université Paris I Département de Science Politique, Monique Crinon, sociologue, Directrice d’études à ACT Consultants, Sonia Fayman, sociologue, Directrice d’études à ACT Consultants.
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