A propos d’une journée de commémoration décidée par le Parlement européen…
Posté par communistefeigniesunblogfr le 15 août 2009
UN AMALGAME PORTEUR DE TRAGÉDIES
Article publié dans LIBERTÉ – HEBDO – du 14 au 20 août 2009
Par Pierre Outteryck, agrégé d’histoire
Le 23 septembre 2008, le Parlement Européen a voté une déclaration faisant du 23 août “une journée européenne de commémoration des victimes du stalinisme et du nazisme”. Ainsi, les députés socialistes, Catherine Trautmann et Vincent Peillon, les verts, Daniel Cohn-Bendit et Hélène Flautre, les députés libéraux et conservateurs tels François Bayrou et Pierre Lellouche ont mêlé leurs voix avec les élus du Front National, Le Pen, Lang et Gollnisch… La date du 23 août n’a pas été choisie au hasard. Elle rappelle le pacte germano-soviétique signé le 23 août 1939 entre l’Allemagne hitlérienne et l’Union Soviétique.
Choix mûrement réfléchi des parlementaires européens mais mémoire particulièrement sélective !
Le pacte de non-agression germano-soviétique, qui permettait à l’URSS d’éloigner momentanément une guerre à laquelle elle n’était pas préparée, était la réponse par les Soviétiques au traité de Munich du 30 septembre 1938. Ce jour-là, les gouvernements français et britannique signaient un traité permettant à Hitler de dépecer la Tchécoslovaquie dont le premier ministre n’avait pas participé aux négociations !
Quelques semaines plus tard, le ministre français de l’Éducation, Jean Zay, était écarté d’une rencontre officielle réunissant le gouvernement français et le ministre des Affaires étrangères nazi, Ribbentrop. Jean Zay était Juif, sa présence déplaisait aux dignitaires du IIIème Reich. D’octobre à juin 1939, une délégation militaire franco-britannique partira à Moscou discuter avec les autorités soviétiques ; cette délégation n’a aucun pouvoir : son seul objectif est de lanterner les “autorités” soviétiques.
En septembre 1939, La France et le Royaume-Uni déclarent la guerre à l’Allemagne nazie ; les armées alliées demeurent sur la frontière sans déclencher la moindre offensive contre le IIIème Reich, laissant l’Allemagne écraser la Pologne.
De septembre 1939 à mai 1940, les états-majors français et britanniques, comme l’a démontré dans son ouvrage l’historien Bédarida, préférèrent préparer des offensives contre l’Union Soviétique plutôt que de mener la guerre contre l’Allemagne : début mai 1940, les armées allemandes déferleront sur la France !
Mémoire sélective ! Nos parlementaires européens oublient comment, entre autre, la France et le Royaume-Uni organisèrent massacres et guerres coloniales (20 000 morts à Sétif en mai 1945, 80 000 morts à Madagascar en avril 1947…). “La chute du mur” fut-elle la fin de l’Histoire comme l’ont proclamé nombre de politiciens ? Quelques années plus tard, la terrible guerre des Balkans et aujourd’hui, comme en témoignent les dernières élections européennes, la montée d’une extrême-droite, violente, xénophobe anti-sociale, prouve que les choses ne sont pas si simples. Ils oublient également que pour montrer leur puissance, les États-Unis n’hésitèrent pas à utiliser la bombe atomique contre les populations civiles du Japon, à préparer le massacre de 500 000 communistes en Indonésie et l’exécution dans les années 70 d’un grand nombre de responsables communistes et progressistes d’Amérique du Sud.
Mémoire sélective ! L’amalgame odieux fait dans cette déclaration rappelle la haine que suscita dès 1917 l’Union Soviétique. La Révolution d’Octobre avait ébranlé les certitudes et les pouvoirs des dirigeants capitalistes et de leurs hommes politiques.
Tout fut mis en œuvre pour “écraser dans l’œuf” ce mouvement révolutionnaire dont l’objectif était de favoriser l’émancipation des femmes et des hommes et pour cela mettre en cause le pouvoir de l’argent.
Le programme des communistes de 1917 était en effet particulièrement dangereux pour les possédants : “le socialisme c’est l’électrification et les soviets” affirmait Lénine. Dans la Russie industriellement sous-équipée, l’électrification était le symbole d’un développement industriel réalisé au profit de tous ; les soviets étaient une des formes de la démocratie élaborée par les travailleurs en 1905, écrasée par le tsar puis reprise dès le printemps 1917. Elle devait permettre aux travailleurs des villes et des campagnes d’avoir un droit d’intervention sur la vie économique, sociale et politique.
Nous savons que ce projet a échoué. Le poids du passé autocratique de la Russie, les pressions exercées par les puissances capitalistes, les errements criminels de la direction d’un Parti Communiste d’URSS sous la férule de Staline, expliquent partiellement cet échec.
Malgré tout, l’Union Soviétique a permis un développement sans précédent des forces productives de ce sous-continent, de l’accès à la culture, aux sciences, aux techniques et aux sports de dizaines de millions d’individus. Elle a joué un rôle particulièrement important dans le concours qui fût apporté pour leur Libération aux peuples colonisés d’Afrique, d’Asie et d’Océanie.
Nous ne pouvons que regretter que tous ceux qui désiraient transformer la société ou améliorer le sort des plus fragiles n’aient pas choisi d’apporter leur concours même critique à cette œuvre gigantesque et aient préféré rejoindre dans l’anti-communisme la grande bourgeoisie et les forces réactionnaires.
Il faut croire que l’Union Soviétique fait encore peur puisque aujourd’hui, il faut pour détruire toute espérance l’associer au régime nazi.
Mémoire sélective et démarche ignominieuse ! Il n’y a rien de commun entre l’Allemagne nazie et l’Union Soviétique. L’Allemagne nazie avait pour objectif de maintenir la domination des magnats de la Ruhr, l’URSS cherchait à développer une société nouvelle fondée sur une répartition profondément différente des richesses. Quant aux massacres que prétendent dénoncer les parlementaires européens, cela rappelle quelque peu, comme nous l’avons vu, la “parabole de la paille et de la poutre” !
Tout le monde reconnaît le rôle de l’Union Soviétique dans l’écrasement de l’Allemagne nazie. En 1945, le général de Gaulle, discutant avec Staline, indiquait que les Français connaissaient la place prise par l’Union Soviétique dans la défaite du IIIème Reich. Eisenhower n’oublia jamais le rôle de la Résistance française dans le Débarquement du 6 juin ; la Résistance rassemblait; entre autre, beaucoup de communistes qui, pour presque tous, avaient refusé de dénoncer le pacte germano-soviétique du 23 août 1939.
Il y a beaucoup plus grave dans cette déclaration du Parlement Européen. Elle passe en effet sous silence les fondements idéologiques du nazisme. Les politiciens de l’Allemagne nazie ne se contentaient pas comme leurs homologues français, britanniques ou nord-américains de servir les intérêts de la grande bourgeoisie financière et industrielle. Pour favoriser leur domination, ils mirent en avant la supériorité de la race blanche, des ariens. Ainsi, l’Allemagne nazie poussait jusqu’au bout la logique du capitalisme qui ne peut, pour assurer sa domination, que diviser les hommes, les opposer les uns aux autres, sélectionner les meilleurs et tenir dans l’humiliation le plus grand nombre. Ainsi, le “Mein Kampf” d’Hitler ne produisait pas d’idées nouvelles, le français Gobineau et les tenants du colonialisme avaient déjà proclamé la suprématie de l’homme blanc.
En ce début de XXIème siècle, la domination de la bourgeoisie, des affairistes et du monde de l’argent-roi doit donc être bien fragile pour se réfugier dans ce prétendu travail de mémoire. Ici, comme très souvent, le devoir de mémoire n’est qu’un joug. Il permet d’oublier la Shoah et le Génocide. Il fait passer des vessies pour des lanternes et nous fait craindre le pire. Dans notre monde, bouleversé, saccagé par la crise, l’exploitation et la domination féroce de milliards d’hommes et de femmes, n’avons-nous pas besoin de repères clairs et de combattre tout brouillage ?
Nous savons en effet combien ce type d’amalgame fondé sur l’Union Sacrée a été le moteur de massacres et de guerres dans l’Histoire du siècle précédent.
Face à ce prétendu devoir de mémoire, nous exigeons un droit à la mémoire, une mémoire critique et contradictoire, permettant de mieux comprendre notre présent et ainsi de construire un avenir qui aurait pour fondement l’émancipation de l’Humanité.
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